Avenue Q : votre vie, en plus drôle

Le SNEG vous recommande, Scènes — 17 février 2012

Ovni dans l’univers des comédies musicales, « Avenue Q », le musical de Broadway récompensé par 3 Tony Awards, débarque enfin en France. Adapté par Bruno Gaccio, le créateur des Guignols de Canal+, cette parodie pour adultes de « 1 rue Sésame » a pour particularité principale de faire chanter des marionnettes. Décalée et irrévérencieuse, c’est un pur moment de bonheur et d’hilarité.
Ce spectacle regorge d’originalités, à commencer par l’idée d’utiliser des marionnettes. Certains pourraient d’ailleurs se demander : « Pourquoi des marionnettes ? »... Par exemple, parce qu’on peut leur demander de faire des choses qu’on ne pourrait pas demander à des comédiens devant un public… si vous voyez ce que je veux dire… Certes, on voit les artistes évoluer sur scène, chanter et manipuler ses espèces de Muppets en live, mais ils parviennent à s’éclipser au profit des personnages qu’ils interprètent. Petite parenthèse : être installé dans la moitié gauche de la salle présente un avantage, les comédiens étant droitiers pour la plupart, ils semblent comme cachés derrière leurs marionnettes, ce qui donne vraiment l’impression de les voir prendre vie.
Autre point fort du spectacle : des textes originaux bien écrits et tout aussi bien adaptés en français. Les thèmes sont d’actualité et sont traités avec un humour grinçant et jubilatoire. Ces résidents de l’avenue Q (moins chère que l’avenue A, B, C, etc.) sont tous en galère : d’argent, d’amour, de sexe, de travail… Chaque spectateur se reconnaîtra forcément à un moment ou à un autre du spectacle, ce qui rend le tout encore plus drôle : on ne pouvait trouver slogan plus adapté ! Pour vous donner une idée, quelques titres très évocateurs : ouverture avec « Ca craint d’être moi » où chacun tente de convaincre les autres que sa vie est la plus pourrie ; « Si t’étais pédé » où comment le coloc d’un gay refoulé cherche absolument à lui faire faire son coming-out ; « Tout le monde est titi peu raciste » où les personnages avouent tous être un peu mais pas trop raciste, sans gravité, avec la note d’humour politique à la Gaccio très bien placée ; « Internet c’est pour le cul »… et là, tout est dis… Bref, autant de thèmes (racisme, homosexualité, pauvreté, mais aussi amour, sexe, alcool, argent…) traités avec dérision et un vocabulaire cru et très… fleuri ! Après tout, si »Avenue Q » est déconseillé aux moins de 12 ans, ce n’est pas un hasard.
Les personnages, marionnettes et êtres humains, au-delà des thèmes abordés, sont eux aussi pour beaucoup dans le succès international de cette comédie musicale qui a déjà attiré plus de 10 millions de spectateurs à travers le monde. L’histoire, c’est celle de Princeton, surdiplômé et pourtant sans emploi (le lot de beaucoup de gens) qui emménage Avenue Q. Il va rencontrer Kate Monster, monstre poilue, fleur bleue et amoureuse, mais lui n’y verra rien. Parmi ses autres voisins, il y aussi Rod, brillant courtier en assurance et « tarlouze » refoulée et Nicky, son coloc bordélique et irresponsable. Trekkie Monster, une boule de poil grossière et vulgaire au vocabulaire limité, est accro aux sites de cul. Madame Brouttemotte, la patronne de Kate, est une vieille dame aigrie et revêche et les Oursons Amis Pourris tiennent leur nom du fait qu’ils sont la pour inciter tout ce petit monde à la débauche de sexe, d’alcool et de fête. Enfin, seule marionnette qui ne vit pas sur l’avenue Q, Lucy la Salope, dont le nom en dit déjà assez long. Côté personnages humains,  Brian, comédien raté doué pour les blagues pourries ; Tatami, sa fiancée japonaise qui a ouvert un restaurant chinois (cherchez l’erreur), psychiatre sans patient (et sans patience), caractérielle au possible et hilarante lorsqu’elle s’énerve, parle ou chante : « Le plus tu n’aimes quelqu’un, le plus tu veux le crever »). Enfin, le Willy de « Arnold et Willy », star non identifiée, reconverti en concierge de la résidence.
Les marionnettes ne seraient cependant rien sans leurs interprètes. Ainsi, Shirel, la fille de Jeane Manson, que l’on a pu voir dans « Notre-Dame de Paris » de 2001 à 2003, prête sa voix tantôt enfantine pour Kate, tantôt suave et rocailleuse pour Lucy la Salope. On aura le loisir d’en constater toute la puissance, à la fin du premier acte sur « Il n’y a presque rien ». Gaétan Borg, qui a joué dans les comédies musicales « Belles, belles, belles », « Dora », « Chance » ou encore « Mamma Mia ! », prête son grain de voix au personnage optimiste et rêveur de Princeton et à celui plus rigide de Rod, avec une gestuelle adaptée des plus convaincantes. David Alexisfait preuve d’une incroyable diversité vocale en interprétant Trekkie d’une voix grave et rauque, Nicky d’une voix plus classique et de l’Ours Ami Pourri à la voix haut perché. David Ban, vu dans le spectacle musical « Il était une fois Joe Dassin » et dans la récente adaptation française de « Grease », joue Brian, un rôle qui à coté de celui de Kenickie (« Grease », ndlr) semble presque trop fade pour son talent. Enfin, et pas des moindres, Alice Lyn dans le rôle de Tatami qui a du lui demander beaucoup d’auto-dérision, parvient à se faire une place vocalement au milieu de tout ce petit monde, forte de ses expériences dans des spectacles musicaux aux Folies Bergères, au Casino de Paris, au Théâtre de la comédie, etc.
Avec un beau mélange de voix où les interprètes savent s’effacer derrière leurs marionnettes, pour chanter des textes crus, voire salaces, « Avenue Q » réussit le pari, à Paris, de nous faire rire de nos malheurs avec une grande désinvolture et une certaine effronterie. Ponctué ça et là de petites vidéos pseudo-éducatives, à la façon de l’émission « 1 rue Sésame » qu’il parodie, le spectacle est un véritable plaisir pour les zygomatiques, monstrueusement drôle et insolent. Bruno Gaccio prouve ici qu’il a un don pour gérer les histoires de marionnettes, et réussit une adaptation en ajoutant sa touche personnelle. Un spectacle à vivement conseiller à ceux qui veulent s’évader de leur morosité… et aux autres !
Pour le SNEG, Duarte, http://duartelittle.skyrock.com/
« Avenue Q » à Bobino, 14-20 rue de la Gaité 75014 Paris jusqu’au 1er avril 2012. Places de 24 à 74 €. Réservations : 0 820 00 90 00.