Et Paul créa la discothèque

L'actu du CHRD — 28 août 2018
PaulPacini

Photo : Nice Matin

En décembre dernier, disparaissait sans bruit celui qui inventa quelques années après-guerre, le concept de la discothèque. Triste conjoncture : Paul Pacini quitte ce monde où les clubs eux-mêmes, ne cessent de tirer leur révérence.

Au lendemain du second conflit mondial, dans une France pourtant meurtrie par des années d’occupation, les alliés américains ont laissé quelques traces culturelles de leur passage : chewing-gums, cigarettes blondes et musique jazz. Rive gauche, les clubs attirent les jeunes en mal de rythme et de danse. Dans les caves voûtées de Saint-Germain, les musiciens jouent sur des scènes étroites tandis que la clientèle se déhanche entre les tables, sur des zones exiguës.

C’est précisément en 1947 que Paul Pacini, fils d’un chauffeur de taxi marseillais, rejoint la capitale. Il a 24 ans. Lui-même client des clubs de la rive gauche, il constate que rien ne se passe de l’autre côté de la Seine. Dans un local non loin du Grand Véfour et du Palais Royal, dans le 1er et très central arrondissement de Paris, il dégote un petit local au 18 rue de Beaujolais.

Il investit le lieu qu’il ambiance d’abord avec des musiciens qui jouent en live. Très vite, entre répertoire limité et problèmes divers et variés avec les artistes, il imagine un concept alors révolutionnaire pour faire danser le public : passer des disques plutôt que faire appel aux orchestres !
Le cabaret devient un club, il le baptise « Le plancher des Vaches ». Le succès et immédiat, au point d’inspirer quelques ambianceurs de la nuit comme Jean Castel.

Fort de sa réussite parisienne, Paul Pacini rejoint le Sud. Il choisit Cannes pour installer son premier club dont l’enseigne va essaimer par la suite : Le Whisky à Gogo. Il y accueille une clientèle grand public mais, dans la ville du Festival de cinéma le plus glamour du monde, son établissement assoira sa réputation en recevant aussi la jet set internationale : Rita Hayworth, Robert de Niro, Tina Turner, Sharon Stone… que côtoient les vedettes françaises : Serge Gainsbourg, Eddy Mitchell et bien sûr Johnny Halliday. On le surnomme bien vite « Le pape des nuits cannoises ». C’est au Whisky à Gogo qu’est née la notion de base du mix quand, s’apercevant qu’entre deux disques il y a toujours un blanc qui interrompt la danse, Paul Pacini se fait souffler par son disquaire l’idée d’acquérir une seconde platine pour enchaîner les morceaux !

Pendant ce temps, à Paris, en ce début des années 50, les clubs sont pleins à craquer. Agée d’un peu plus de 20 ans, une petite rousse, fille d’un immigré de Pologne, invite celui qu’elle appelle « Monsieur Paul » à implanter l’enseigne du désormais très réputé Whisky à Gogo à Paris. Il suit le conseil et confie le club à celle qui avant de devenir Reine de la nuit sera d’abord tout à la fois videur, dame pipi, vestiaire, barmaid ou encore dj : Régine. Jusqu’en 1956, elle passera ses nuits rue de Beaujolais avant d’ouvrir son premier Chez Régine rue du Four, de retour sur la rive gauche. Quant au Whisky à Gogo, il deviendra quelques années plus tard et jusqu’en 2016 le Club 18, dédié à la clientèle gay, alors fortement attirée par les établissements de la rue Sainte-Anne avant d’aller s’acoquiner dans les jardins des Tuileries…

A Paris, viendra le temps de l’Alcazar puis à Cannes, celui du Studio Circus, et le succès est toujours au rendez-vous. Paul Pacini imagine le jour ce que sera la nuit et parallèlement, participe au lancement du MIDEM, à celui de Cannes Radio et porte l’inscription des Iles du Lérins au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Il décède aux Adrets dans le massif varois de l’Esterel en décembre 2017, quelques jours après son ami Johnny, aux côtés de sa fidèle compagne Helen. A 94 ans, il emporte avec lui une idée de génie qui, dans son concept initial, a elle aussi, bien vieilli. Aujourd’hui, la nuit offre un nouveau visage : elle appartient aux djs internationaux, aux rois de la nuit investisseurs plus que noceurs ou encore aux organisateurs de festivals, en attendant un nouveau Paul Pacini.

Rémi Calmon