Ethylotests : 3 – Réflexions sur une mesure gadget

L'actu du CHRD — 28 octobre 2011

EthylotestSignaletiqueEtude d’impact acoustique, interdiction de fumer, renforcement des mesures de sécurité et maintenant mise à disposition d’éthylotests, en attendant l’accessibilité à tous les handicaps… Et une réglementation de plus pour les débits de boissons ! Sans surprise, parce qu’évoquée de longue date, cette mesure s’inscrit dans l’air du temps, liberticide quand chacun d’entre nous perd de sa capacité à agir au nom du sacro saint principe de prévention, quand faute de désigner des coupables qu’on appellerait chômage, précarité, insécurité ou autre mal d’Etat, on fait porter la responsabilité de tous les maux de la société (bruit, violence, accidentologie…) aux exploitants de débits de boissons ! Pour autant, bien qu’avançant le même argument de sécurité routière, on remarquera que là où les radars ont disparu en 15 jours quand il y avait aussi quelque rente à encaisser moyennant les PV pour excès de vitesse, il aura fallu plus de trois ans pour réglementer la mise à disposition des éthylotests dans les seuls établissements fermant après 2 heures. Eh oui, rien à glaner hormis la traditionnelle TVA sur la vente des éthylotests !

2,5 % des débits de boissons concernés
Loin de nous l’idée de s’opposer à l’idée selon laquelle alcool et conduite sont incompatibles. Le constat est clair depuis des années : les chiffres de la sécurité routière selon lesquels l’alcool est la principale cause de mortalité routière, les jeunes de 18 à 24 ans pour principales victimes, sont particulièrement inadmissibles et alarmants. Seulement, le présent arrêté, applicable aux seuls établissements fermant entre 2 heures et 7 heures constitue t-il une bonne réponse ? Certainement pas. Ces établissements de nuit sont au nombre d’un peu plus de 5 000 et constituent donc environ  2,5 % du parc des débits de boissons. Qu’en est-il des 97,5 % restants, de ces 200 000 établissements qui ferment avant 2 heures, ceux chez qui on boit les premiers verres ? De fait, la clientèle y consomme aussi, de l’apéritif au digestif, sans compter à l’heure du dîner, du déjeuner même.

80 % de la consommation d’alcool au domicile
Cette mesure est donc insuffisante car boire et conduire n’est pas un cumul interdit aux seules heures de la nuit profonde, c’est un mauvais réflexe, une malheureuse habitude que certains pourtant, cultivent dès le matin, le midi, le soir… Il a été question un temps de soumettre l’ensemble des débits de boissons à la mise à disposition d’éthylotests. Le SNEG n’a jamais défendu cette option, il s’y est même clairement opposé. Alors, pourquoi l’autorité a-t-elle reculé ? Parce que les établissements fermant avant 2 heures sont responsabilisés par la charte de juillet 2010 ? Bien évidemment non. Si l’Etat a limité le périmètre d’application de cette mesure, c’est parce que s’il l’avait imposé à tous les établissements, y compris ceux ouverts en journée et en début de soirée, il aurait fallu par souci de cohérence et d’équité, l’étendre à tous les vendeurs de boissons. A commencer par la grande distribution, en passant par les supérettes, les épiceries, les stations service… Autant de lieux où le public achète de l’alcool, non au verre à prix coûteux, mais en gros, en litre ou en cubi pour le consommer…  chez lui. Car c’est au domicile que sont consommés 80 % des alcools vendus dans notre pays, par des particuliers qui certains soirs, après une soirée dans un cadre privé, poursuivront… en bar ou en discothèque !

Distorsion de concurrence
En plus d’être insuffisante, la mesure est également  injuste. En touchant uniquement les établissements fermant après 2 heures, elle crée encore une distorsion de concurrence entre les bars d’un côté et les bars de nuit ou discothèques de l’autre, les seconds étant exposés à une réglementation à la fois contraignante et coûteuse quand déjà portent sur eux, le report de bien des responsabilités que personne ne veut assumer.

Quand 2 verres suffisent…
Mieux encore, la mesure est insuffisante et injuste, mais aussi inapplicable. Certes, les exploitants vont s’équiper et nous allons les y encourager après les en avoir informés. Seulement, rien ne contraint le client à se tester. Seuls les volontaires souffleront. Et quand bien même un exploitant assiste au rendu d’un résultat positif, il n’a aucun moyen d’empêcher le client concerné de tout de même prendre son véhicule, de lui confisquer ses clés… L’exploitant, tout comme pour la consommation ou le trafic de drogues, pour les nuisances sonores ou autres incivilités, ne dispose pas du pouvoir de police et ne peut se substituer à l’autorité de tutelle que sont la police et la gendarmerie. A l’inverse, il se doit même de respecter la liberté individuelle et laisser chacun libre de faire ce qu’il veut. Les multiples campagnes de communication ne peuvent pas laisser ignorer à quiconque la limite : à 0,5 g de litre dans le sang comme maximum autorisé, 2 verres suffisent pour savoir qu’ aux yeux de la loi, on est pas en état de conduite sans être contraventionnel, voire délictuel à partir de 0,8 g. Nul besoin d’éthylotest pour le savoir. La responsabilité personnelle se suffit à elle-même. Au lieu de cela, on sanctionne l’exploitant.

Menace sur l’exploitant
Insuffisant, injuste, inapplicable, ce texte est aussi potentiellement dangereux. Imaginons après s’être détecté positif, un client décide toutefois de prendre son véhicule et qu’un accident se produise.  Qui nous garantit que personne n’ira invoquer la responsabilité de l’exploitant, qui aura fourni l’instrument de l’éthylotest, l’accusant de mise en danger de la vie d’autrui, de non empêchement d’un crime ou de délit contre l’intégrité corporelle ?

Clubber des villes, clubber des champs
Insuffisant, injuste, inapplicable, dangereux, ce texte est aussi inadapté. Une mesure l’alcoolémie conjuguée à la conduite ne peut être envisagée de manière identique à des établissements situés en zone urbaine comme à ceux localisés en zone rurale. Les clients des premiers bénéficient de transports en commun, de taxis et font des distances généralement courtes quand ceux des seconds sont effectivement plus dépendants parce qu’éloignés de leur lieu de résidence.

Une mesure populaire
Cet arrêté, dont les pouvoirs publics ont accouché si difficilement, aura certainement ses vertus. Une enquête Mingle Trend réalisée auprès de 1 230 français âgés de 18 à 69 ans entre le 25 et le 29 août 2011 fait apparaître que 60 % d’entre eux pensent que cette disposition va favoriser la réduction des accidents de la route, les femmes étant à 59 % sont plus convaincues que les hommes pour 54 % d’entre eux. Pour notre part, organisation professionnelle, exploitants, nous sommes loin de partager cet optimisme bien que désireux du même résultat : arrêter de compter les morts sur la route pour cause d’alcoolémie. Certes, cette disposition aura quelques avantages : l’exploitant pourra, quoique ce ne soir pas si sûr, refuser l’entrée à qui il soupçonne d’être déjà trop alcoolisé et qui refuserait de se tester ; des clients qui vont souffler, ou que des amis les accompagnant plus sobrement vont voir souffler, vont faire le bon choix du bon conducteur… Mais rien ne se fera, moyennant un gadget ou un autre, sans en appeler soit à la contrainte, soit à la responsabilité individuelle.

Privilégier d’autres pistes
La contrainte n’est bien évidemment pas l’option que nous défendons, surtout si celle-ci repose sur la personne. En revanche, la contrainte technique est à regarder de près. Elle passe par la mise en place d’éthylotest anti démarrage sur les véhicules particuliers. Les français y sont là aussi majoritairement favorables, comme c’est le cas depuis le 1 janvier 2010 pour les cars scolaires. Seulement, le lobby des constructeurs automobiles est, reconnaissons-le, visiblement plus puissant que celui des professionnels de la restauration ! Conjuguée avec la formule SAM Capitaine de soirée, dispositif insuffisamment répandu, cette mesure peut résoudre une partie du problème. L’autre partie restante, celle relevant de la responsabilité individuelle, demeure malheureusement plus difficilement appréhendable. Comme la violence, l’oisiveté, l’irrespect, la drogue… la consommation d’alcool répond à bien des maux de notre société. Ses excès sont les effets de ces maux. Il sera bien difficile, pour quiconque, de remédier à ces effets sans avoir préalablement analysé, compris et mis un terme à leurs causes.

Rémi Calmon
Directeur Exécutif SNEG Syndicat