Le suicide des salariés

Fiches pratiques — 30 avril 2007
Renault, EDF…, l’actualité récente atteste que de nombreuses entreprises sont touchées par le suicide de salariés. Le phénomène du suicide lié au travail n’est pourtant pas nouveau, mais il s’est accentué ces dernières années. Selon une étude du Conseil économique et social, une personne par jour se donnerait la mort à cause du stress au travail.

Autant de raisons pour faire le point sur les obligations pesant sur l’employeur en ce domaine (1) ainsi que sur les conditions de prise en charge du suicide et de la tentative de suicide au titre de la législation sur les accidents du travail (2).

1. L’obligation de sécurité à la charge de l’employeur : une obligation de résultat

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat.

La jurisprudence considère que le manquement de l’employeur à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque :

– l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié ;

– l’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver 1.

La jurisprudence a récemment retenu la faute inexcusable d’un employeur dans l’hypothèse d’une tentative de suicide d’un salarié.

La Cour de cassation a jugé que lorsque l’équilibre psychologique du salarié a été gravement compromis à la suite de la dégradation continue des relations de travail et du comportement de l’employeur, ce dernier commet une faute inexcusable lorsqu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour préserver le salarié du danger dont il avait ou aurait dû avoir conscience et auquel le salarié était exposé 2.

La faute inexcusable de l’employeur permet à la victime ou à ses ayants droit d’obtenir une majoration des indemnités qui leur sont dus et la réparation complémentaire des préjudices qu’ils ont subi (article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale).

La Caisse d’assurance maladie peut également réclamer à l’employeur le remboursement des sommes qu’elle a versées (action récursoire) et imposer à ce dernier une cotisation supplémentaire (article L. 452-2 du Code de la sécurité sociale).

2. La prise en charge du suicide du salarié au titre de la législation des accidents du travail

• Le suicide ou la tentative de suicide au temps et au lieu de travail

Tout suicide, ou tentative de suicide, qui survient au temps et au lieu de travail bénéficie d’une présomption d’imputabilité qui lui confère la qualification juridique d’un accident de travail.

En effet, l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale prévoit que tout accident, quelle qu’en soit sa cause, arrivé au temps et au lieu du travail doit être considéré comme survenu à l’occasion du travail.

La présomption d’imputabilité peut toutefois être renversée par l’employeur qui doit alors rapporter l’une des preuves suivantes à savoir l’existence d’une cause étrangère au travail du salarié ou l’existence d’une faute intentionnelle du salarié.

L’existence d’une cause étrangère au travail du suicide

La présomption d’imputabilité est détruite lorsque le travail de la victime, le jour du suicide ou de sa tentative, n’a joué strictement aucun rôle dans la survenance du suicide.

Souvent, l’argumentation de la CPAM ou de l’employeur consiste à soutenir que le suicide du salarié n’était que la conséquence d’un état dépressif dû à des problèmes personnels sans aucun lien avec le travail.

Toutefois, une telle argumentation n’est pas retenue lorsqu’il est démontré que l’employeur s’est livré à un harcèlement moral à l’égard de l’employé. La jurisprudence considère en effet que le suicide d’un salarié imputable au harcèlement moral dont il était victime de la part de son employeur constitue un accident du travail3. Il en est de même lorsque le suicide survient immédiatement après les remontrances de l’employeur4.

De même, a été considérée comme imputable au travail la tentative de suicide commise par un salarié dont l’état psychologique était particulièrement altéré et dont le geste de désespoir avait été le résultat d’une impulsion brutale de celui-ci face à la situation catastrophique de l’entreprise pour laquelle il n’y avait pas d’issue5.

En revanche, la jurisprudence a précisé que la tentative de suicide survenue au temps et au lieu de travail ne constitue pas un accident de travail dès lors que cette tentative puise son origine dans des difficultés privées et personnelles et non dans l’activité professionnelle du salarié6.

La faute intentionnelle de la victime, exclusive par définition de tout accident du travail.

L’article L. 453-1 du Code de la sécurité sociale prévoit que l’accident résultant de la faute intentionnelle de la victime ne donne lieu à aucune prestation ou indemnité au titre de la législation sur les accidents du travail.

Il s’agit du suicide « conscient », c’est-à-dire volontaire et réfléchi, qui est établi, en cas de décès de la victime, par des présomptions précises et concordantes.

Ce sont les circonstances de fait qui permettent d’établir le caractère volontaire et réfléchi du suicide. La préméditation est caractéristique de la faute intentionnelle (apport dans l’entreprise de substances toxiques ou de la corde utilisée pour se pendre).

La faute intentionnelle fait perdre le bénéfice des prestations en espèces de l’assurance maladie non seulement pour le suicidant lui-même (en cas de suicide manqué) mais également pour ses ayants droit (perte des rentes de réversion en cas de décès de l’intéressé).

Lorsque le suicide est imputable à l’activité du salarié et est exclusif de toute faute intentionnelle, le salarié victime d’un suicide manqué a droit à une réparation forfaitaire limitée à la prise en charge totale des soins et au versements d’indemnités journalières en cas d’incapacité journalière ou de rentes en cas d’incapacité permanente. En cas de décès du salarié, les ayants droit peuvent prétendre au paiement d’une somme dite « capital-décès » et à la retraite de réversion.

• Le suicide ou la tentative de suicide d’un salarié en arrêt maladie

Dans un arrêt en date du 22 février 2007, la Cour de cassation a jugé qu’un accident qui se produit à un moment où le salarié ne se trouve plus sous la subordination de l’employeur constitue un accident du travail dès lors que le salarié établit qu’il est survenu par le fait du travail7. En l’espèce, un salarié avait tenté de se suicider à son domicile, alors qu’il était depuis plusieurs semaines en arrêt maladif pour syndrome dépressif.

Cette décision est très importante car elle affirme clairement qu’un suicide ou une tentative de suicide peut constituer un accident de travail quand bien même le salarié ne se trouvait pas sous le contrôle et l’autorité de l’employeur au moment de l’accident.

Autrement dit, la suspension du contrat n’exclut pas la qualification de la tentative de suicide en accident du travail. Toutefois, il appartient au salarié de prouver que l’accident est survenu par le fait du travail. Dans ce dossier, les juges avaient caractérisé des faits sérieux, graves et concordants établissant que l’accident était bien dû au travail et notamment à la pression constante de l’employeur sur le volume de travail à effectuer et la rapidité d’exécution.

1: Cass. soc., 28 février 2002, Bull. civ., V, n° 81 ; Cass. civ. 2ème, 22 février 2007, FPBRI
2: Cass. civ. 2ème, 22 février 2007, FPBRI, le salarié avait en l’espèce tenté de se suicider à son domicile
3: CA Riom, 22 février 2000
4: Cass. soc., 20 avril 1988, Bull. civ., V, n° 241
5: CA Lyon, 11 mars 2003
6: Cass. civ., 2ème 18 octobre 2005, pourvoi n° 04-30.205 ; Cass.soc., 4 février 1987, Bull. civ., V, n° 64).
7: Cass. civ. 2ème, 22 février 2007, pourvoi n° 05-13.771, FPBRI

À jour au 19 avril 2007.