L’édito coronavirus : on nous a menti

L'éditorial, Le SNEG — 3 avril 2020

Le soir du lundi 16 mars, alors que tous nos établissements étaient déjà fermés depuis le samedi précédent à minuit, le Président de la République annonçait, pour l’ensemble des entreprises, un dispositif exceptionnel de soutien : report de charges fiscales et sociales, d’échéances bancaires, garanties de l’État à hauteur de 300 milliards d’euros pour tous les prêts contractés auprès des banques… Et, pour les plus petites d’entre elles, un gel des prélèvements fiscaux et sociaux. Il indiquait aussi  que « les factures d’eau, de gaz ou d’électricité ainsi que les loyers devront être suspendus ».

Cette dernière phrase n’était certes pas passée inaperçue et avait aussitôt suscité des interrogations sur le sens que l’on devait prêter au mot « suspendus ». Un mot qui n’est limpide pour personne, et surtout pas pour moi !

En attendant, le message politique présidentiel (dont on n’attend évidemment pas la précision d’un texte juridique !) était clair : les microentreprises allaient pouvoir suspendre le paiement des factures d’énergie et celui des loyers !

Une semaine à peine plus tard, était promulguée la loi d’urgence autorisant entre autre le gouvernement à prendre par ordonnances toutes mesures destinées notamment à faire face aux conséquences économiques, financières et sociales afin de prévenir et limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l’emploi.

S’agissant des loyers et des factures, on retrouvait un écho un peu plus précis : le gouvernement était en effet autorisé à prendre une ordonnance permettant de « reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures ».

La « suspension » des loyers devenait donc un report ou un étalement.

A la publication de ladite ordonnance relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19, tout devenait enfin très clair mais non sans surprises…

Première surprise, le terme « suspension » (comme le terme « gel » évoqué pour les charges fiscales et sociales), signifie finalement un report, mais rien de plus.

Deuxième surprise, les bénéficiaires de la mesure ne sont plus les microentreprises au sens du décret de 2008 qui les définissait comme étant celles qui occupent moins de dix personnes et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 2 millions d’euros, mais celles qui, outre compter moins de 10 salariés, réalise un chiffre d’affaires annuel inférieur à 1 million d’euros (au lieu de 2 millions) et un bénéfice annuel imposable inférieur à 60 000 €, ayant soit fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public ou subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 70 % en mars 2020 par rapport à mars 2019. Ce sont ces mêmes conditions d’éligibilité qui s’appliquent pour bénéficier du fonds de solidarité que pourraient solliciter les indépendants, micro entrepreneurs et autres patrons de TPE.

Pour les TPE de plus de 10 salariés, de plus d’un millions de chiffre d’affaires, au bénéfice annuel imposable de plus de 60 000 €, n’ayant ni fait l’objet d’une fermeture, ni perdu plus de 70 % de leur chiffre d’affaires, rien n’est prévu ! Pas plus que pour les PME ou les plus grandes entreprises. Et pourtant, toutes celles-ci font aussi les frais de cette crise sanitaire, toutes vont en subir les terribles conséquences !

De la parole présidentielle, il ne reste plus qu’une mesure de neutralisation des sanctions pour non-paiement des loyers et charges échus entre le 12 mars 2020 et un délai de deux mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire.

Ce qui signifie en clair, si l’on devait s’en tenir à ces textes, que les loyers et charges restent dus et pourraient, dès maintenant et qui plus est après la période de neutralisation des sanctions, faire l’objet d’actions en paiement ou même, de la part de bailleurs « extrémistes », de saisies conservatoires.

Le seul « frein » à des actions immédiates en paiement, même en référé-provision, serait l’incapacité, en cette période, d’obtenir une date d’audience et une décision…

En revanche, il est à craindre une explosion des contentieux après la sortie de crise. Car la question de la suspension des loyers et charges demeure entière et devra donc être traitée par les outils existants du droit des contrats.

Alors, désolé, mais entre les dires du Président et la réalité d’aujourd’hui, il y a un monde !

Donc, on nous a menti…CQFD !

Bon courage à tous !

Olivier Robert
Président du SNEG & Co