Livre : 100 chansons censurées

Le SNEG vous recommande, Livres — 22 octobre 2014

100 chansons censuréesJacques Brel « Les Bourgeois », Pierre Perret « Les jolies colonies de vacances », Serge Gainsbourg «Aux armes et cætera », Téléphone « La bombe humaine », Renaud « Miss Maggie »… Une chanson de trois petites minutes, ça peut parfois déranger : quand les conservateurs, les pudibonds et autres intolérants de tous poils n’apprécient pas trois couplets et un refrain, la censure pointe le bout de son nez. Comme les livres, les films ou toute autre œuvre culturelle, les chansons, ou leurs clips vidéos par la suite, ont ainsi été interdites à le vente, autorisées seulement à partir de 22 heures ou minuit à la radio ou à la télévision. Autodafé, peine d’emprisonnement, suppression d’un passage, condamnation à dommages et intérêts, boycott ou représailles économiques, chantage, intimidation… les auteurs ou les interprètes de quelques biens innocentes ritournelles ont connu bien des désenchantements…

Pour avoir bousculé des idées reçues ou s’en être pris au pouvoir, pour défaut de bonnes mœurs ou trop plein d’érotisme, ils ont payé le pris fort. La politique, le sexe et la religion (Adamo « Inch Allah », Véronique Sanson « Allah », Mylène Farmer « Je te rends ton amour ») sont parmi les thèmes les plus récurrents en matière de censure. L’antimilitarisme aussi est en bonne place : Boris Vian en sait quelque chose quand sort « Le Déserteur », tout comme Barbara avec « Veuve de guerre », Jean Ferrat avec « Nuit et Brouillard », Maxime Le Forestier avec « Parachutiste » ou Michel Sardou avec « Les Ricains ».

Préfacé par José Artur, « 100 chansons censurées » d’Emmanuel Pierrat, avocat référent du SNEG & CO sur les sujets relatifs à la propriété intellectuelle, et Aurélie Sfez évoque les uns après les autres, chacun de ces titres, chacun de ces auteurs ou interprètes. Brassens, Ferré, Prévert figurent en bonne place et qu’importe si finalement, aujourd’hui, des établissements scolaires portent leurs noms : la censure n’a qu’un temps ! Elle porte aussi des histoires extraordinaires comme « Lili Marleen » ou « Gaby oh ! Gaby » d’Alain Baschung : saviez-vous que c’est une chanson dédiée notamment aux homos, et que les « golfes pas très clairs » faisant référence à l’Amoco Cadiz a entraîné son absence de diffusion sur les ondes pendant… la guerre du Golfe plus de dix ans plus tard ! En 1946, Georges Ulmer est attaqué pour « Pigalle » quand il évoque les « tenanciers de bistrots, trafiquants de coco, p’tites femmes qui vous sourient ». En 1951, Charles Trenet déclenche les foudres quand il évoque l’onanisme féminin dans « La folle complainte », tout comme Magali Noël en 1956 quand dans « Fais-moi mal Johnny », elle chante les fantasmes sadomasochistes. Pourquoi en 1972 Charles Aznavour n’est-il pas censuré pour « Comme ils disent » qui parle ouvertement d’homosexualité alors qu’il l’avait été quinze ans plus tôt pour « Après l’amour » dans laquelle il chante les corps alanguis d’un couple hétérosexuel après son étreinte ? On lit aussi que Michel Polnareff choque en 1966 avec « L’amour avec toi », six ans avant de montrer ses fesses sur des affiches dans la rue pour la promotion de son album « Polnarévolution ». L’année suivante, c’est Juliette Gréco qui crée le scandale avec « Déshabillez-moi », avant que Serge Gainsbourg et Brigitte Bardot ne poussent le bouchon avec « Je t’aime, moi non plus ». Quand ce ne sont pas les paroles, ce sont les pochettes des disques qui créent la polémique. Ce fut le cas pour Nino Ferrer en 1973 quand sa bien innocente balade « Le Sud » présente une femme noire entièrement nue sur la pochette de son 45 tours ! Dans les années 80, après les Stones et leur langue rouge, les Beatles et leur LSD dans les sixties, « Relax » de Frankie goes to Hollywood » et « I want your sex » de George annoncent les sulfureuses péripéties à venir de Madonna.

Les passionnés de chansons et les amateurs d’anecdotes apprécieront cet ouvrage richement documenté et illustré. Ses auteurs nous racontent avec talent comment chaque chanson, chaque auteur ou interprète s’est un jour retrouvé sous les feux des critiques et des interdits, autant de petites histoires qui créent la grande histoire de la censure.

Rémi Calmon

« 100 chansons censurées » d’Emmanuel Pierrat et Aurélie Sfez. Editions Hoëbeke. 24,50 €.