Lyon : du rififi dans la nuit

L'actu du CHRD — 23 décembre 2011

Le décret du 23 décembre 2009, issu de la loi de développement et de modernisation des services touristiques, suscite dans ses conséquences, des discussions et des désaccords en Préfecture du Rhône. Dans son article 15, il autorise les établissements « ayant pour activité principale l’exploitation d’une piste de danse », autrement dit les discothèques, à ouvrir jusqu’à 7 h du matin, sans dérogation, avec interdiction de vente d’alcool à partir de 5 h 30. Cette mesure à première vue favorable est pourtant considérée bien autrement par les exploitants de discothèques quand, dans leur département, les bars peuvent bénéficier sur dérogation, d’une ouverture de nuit tardive. C’est précisément ce qui se passe à Lyon.
Depuis 1974, un arrêté préfectoral autorisait les bars à ouvrir jusqu’à 3 h du matin et les discothèques jusqu’à 5 h. A parution du décret en décembre 2009, le Préfet d’alors Jacques Gérault, envisage de fixer l’heure de fermetures des bars à 2 h au lieu de 3 h, contraint de laisser les discothèques ouvertes jusqu’à 7 h.
Finalement, le 6 juillet 2010, sous la pression de l’ensemble des exploitants d’établissements de nuit, bars et discothèques réunis au sein d’un collectif baptisé « Sauvez la nuit » soutenu par l’UMIH (Union des Métiers de l’Industrie Hôtelière), le Préfet Gérault signe un arrêté préfectoral autorisant les bars à ouvrir sur dérogation jusqu’à 4h avec cessation de vente d’alcool à 3 h 30. Entre temps, le SNDLL (Syndicat National des Discothèques et Lieux de Loisirs), attaque cet arrêté devant le Tribunal Administratif, estimant qu’une fermeture pour les bars était supportable jusqu’à 3 h mais pas jusqu’à 4 h quand les discothèques doivent fermer à 7 h en cessant la vente d’alcool à 5 h 30.
Le 16 novembre 2011, le  Tribunal administratif annule l’arrêté du 6 juillet 2010, supposant un retour au décret de 1974 prévoyant la fermeture des bars à 1 h et sans faculté de dérogation horaire. Pour justifier sa décision, le Tribunal Administratif s’appuie sur l’obligation de prendre en compte les règles de la concurrence et que donner aux bars de nuit une amplitude horaire (7 h-4 h soit 21 h) supérieure à celle des discothèques (12 h-7 h soit 19 h) quand les deux activités visent un même public sans qu’elles soient assujettis aux mêmes obligations, porte  atteinte à ce principe de libre concurrence. Concernant ces obligations plus contraignantes, les discothèques évoquent notamment des charges plus importantes, des conditions de sécurité plus exigeantes, des assurances plus coûteuses, des contrats SACEM également. Ce à quoi les représentants des bars répondent qu’ils sont prêts, au-delà d’1 h, à payer des charges équivalentes, plaidant la dynamique de l’emploi et du tourisme pour faire valoir leurs droits à une ouverture de nuit.
Nouveau préfet du Rhône, Jean-François Carenco signe un nouvel arrêté le 6 décembre 2011, à caractère provisoire pour les fêtes de fin d’année, autorisant les discothèques à ouvrir entre 12 h et 7 h, les bars entre 9 h (au lieu de 7 h) et 4 h sur dérogation, soit une planification d’horaires sur 19 h pour les uns comme pour les autres. Une nouvelle négociation doit être entamée entre les professionnels et l’autorité préfectorale pour tenter de trouver un accord qui satisfasse l’ensemble des exploitants, le SNDLL se réservant le droit d’attaquer le nouvel arrêté du 6 décembre 2011. Ce qu’il fait précisément en déposant un recours en référé, c’est-à-dire en procédure immédiate. Mais cette fois-ci, dans une décision du 4 janvier 2012 ne retenant pas le caractère d’urgence de l’affaire, le juge des référés rejette la requête sur la forme en attendant un nouvel examen sur le fond.
L’Union des Métiers de l’Industrie Hôtelière représentant l’activité bars et le Syndicat National des Discothèques et des Lieux de Loisirs représentant l’activité discothèques sont chacun légitimement dans leurs rôles. Seulement, un tel compartimentage de la nuit est-il la bonne solution tant les métiers sont proches et tant le marché de la nuit est complexe ?
Le décret du 23 décembre 2011, bienvenu en termes de dynamique commerciale, touristique ou encore de sécurité routière, a favorisé les discothèques quand dans certains départements, l’heure de fermeture était parfois arrêté à 3 h, majoritairement à 5 h. Toutefois, cette mesure étant imposée aux préfets, nombre d’entre eux dans bien des départements ont repris la main en réduisant l’amplitude des horaires d’ouvertures des bars et en raccourcissant, voire en supprimant, les heures de dérogation. Or, cette dernière mesure vis-à-vis des bars est pénalisante pour ceux qui n’ouvrent qu’en fin d’après-midi et qui, sans dérogation, sont finalement ouverts moins d’une dizaine d’heures : exploiter entre 17 h et 2 h par exemple suppose ainsi seulement 9 heures d’ouverture. Soit, c’est souvent moins que l’amplitude horaire des discothèques qui, en ouvrant généralement à 23 h pour fermer à 7 h ne sont exploitées que durant 8 heures, le fait est !
Ce marché de la nuit est aussi concurrentiel, surtout en cette période de crise. S’il est vrai que les clients ne peuvent être en même temps dans un bar ou dans une discothèque (sic !), ces clients peuvent être exclusifs pour l’un ou l’autre type d’établissement mais ils sont aussi souvent pluriels, fréquentant selon les jours et les heures de la nuit, selon leurs envies et leurs moyens du moment, l’un comme l’autre. Au-delà des principes de concurrence loyale qui doivent être respectés, celui de l’émulation qui crée la dynamique et la diversité de l’offre doit l’être également.
Quelques dents ont grincé de ci de là dans diverses régions mais finalement, la situation s’est calmée et assainie, chacun se recentrant sur son activité principale et réglementaire : aux bars de nuit le rôle d’ambianceur, aux discothèques celui de la danse. Syndicat interprofessionnel comptant parmi ses adhérents des bars comme des discothèques, le SNEG ne peut, sans angélisme mais avec pragmatisme, que prôner ce fonctionnement en invitant à échapper aux individualités au profit de la complémentarité.