Poppers : vers une fin d’interdiction mouvementée

L'actu du CHRD, Poppers — 3 mai 2013

PoppersMonsieur Alain Meyet, juriste, a accompagné le SNEG dans sa requête auprès du Conseil d’Etat pour demander l’annulation de l’arrêté d’interdiction des poppers du 29 juin 2011. Suite à la série de saisies de flacons de poppers dont le SNEG vous informait le 26 avril dernier (lire ici), celui-ci souhaite apporter son regard de juriste sur la situation actuelle, en attendant que soit rendue public la décision du Conseil d’Etat. Vous trouverez ci-après son communiqué, suivi du commentaire que nous y apportons, le tout dans un souci d’une démarche claire et exhaustive à votre attention.

Les poppers sont-ils encore interdits ou de nouveau autorisés ?

Par Alain Meyet, juriste.

Délicate question assurément, à laquelle il ne peut être répondu utilement que d’un point de vue strictement juridique.

Un arrêté ministériel du 29 juin 2011 a interdit la commercialisation des produits à base de nitrites d’alkyle, couramment dénommés poppers. Le SNEG, ainsi que trois fabricants et un détaillant, ont formé devant le Conseil d’État un recours contentieux à l’encontre de ce texte réglementaire, tendant à son annulation pour excès de pouvoir (les pièces essentielles de la procédure sont consultables sur le site Web du SNEG). Déjà, le 15 mai 2009, un décret du 20 novembre 2007 ayant un objet analogue avait été annulé. Lors de la séance publique de jugement qu’a tenue le Conseil d’État le 17 avril 2013, le rapporteur public, M. Édouard Crépey, maître des requêtes, a conclu fermement en faveur de l’annulation de l’arrêté.

Cette requête semble effectivement très bien engagée, comme le signale le SNEG, et il y a lieu de s’en (et de l’en) féliciter. Ainsi qu’il l’indique dans un communiqué, la décision du Conseil d’État sera, probablement, rendue avant la mi-mai. Et il n’est pas inexact d’écrire, comme il le fait, sans doute dans un louable souci de simplification : « D’ici là, le poppers demeure un produit interdit, dont on peut imaginer sous peu le retour de la commercialisation. » Mais, en réalité, qu’en est-il vraiment ?

Le rapporteur public auprès d’une juridiction administrative (ex-commissaire du gouvernement) a pour rôle d’émettre un avis, argumenté en droit et en fait, sur la solution qui lui paraît devoir être retenue. Dans le cas présent, les conclusions prononcées seront très vraisemblablement suivies, et il faut s’attendre à ce que l’arrêté soit annulé. Toutefois, il n’est pas d’usage d’anticiper le prononcé d’une décision du Conseil d’État. Faire comme si l’interdiction était déjà levée est à la fois maladroit – le risque d’un arrêt contraire, certes très faible en l’espèce, n’est cependant pas nul – et désinvolte envers la Haute instance. Mieux vaut donc patienter quelques jours encore…

Mais il est proprement scandaleux – si cela s’avère exact, car j’ai peine à le croire ! – que des contrôles, conduisant à des saisies (et à des poursuites, sans doute), soient, depuis le 17 avril, opérés ici ou là. En effet, il faut savoir, lorsque – si c’est effectivement le cas – la décision d’annulation aura été rendue publique, que l’arrêté ministériel ne sera pas seulement abrogé pour l’avenir, mais bien annulé. C’est dire que l’interdiction de commercialisation, en vigueur depuis le 8 juillet 2011, ne sera pas seulement levée, elle sera censée n’avoir jamais existé ; telle est la portée d’une annulation. Dès lors, et de façon quasi automatique, chaque fabricant, chaque revendeur pourra, s’il s’estime lésé, réclamer à l’État un dédommagement, correspondant à son manque à gagner. Toutes les poursuites en cours, les saisies effectuées, les condamnations non définitives ayant pu être prononcées, seront nulles et de nul effet.

Contrôler, confisquer, poursuivre, si l’arrêté est définitif et donc présumé conforme à la loi, quoi de plus normal ? Nous sommes dans un État de droit, ce qui doit conduire à l’application et à la mise en œuvre de la législation et de la réglementation en vigueur. Lorsqu’un recours contentieux contre le texte a été engagé, il fait obstacle à son caractère définitif, et l’Administration qui entend le faire observer prend alors ses responsabilités, agit à ses risques et périls ; elle pourra toujours tenter de se dédouaner en prétendant avoir agi de (plus ou moins) bonne foi. Mais se comporter ainsi, dans le cadre du droit pénal, alors qu’il est évident que l’interdiction a toutes les chances d’être censurée, est inimaginable, cela traduit un mépris total de l’État de droit, aux confins de la voie de fait, qui, et je pèse mes mots, rappelle les heures les plus sombres de l’histoire récente de certains pays européens. Je n’ai pas souvenir d’avoir déjà eu vent d’un pareil coup de force, que j’estime ici traduire un défi publiquement lancé au Conseil d’État lui-même.

N’en déplaise au SNEG, ce n’est pas tant l’« empressement commercial des fabricants et grossistes » qu’il convient de déplorer, même si, par hypothèse, leurs affirmations hâtives conduisent inévitablement à prendre quelque risque. Non, ce qu’il faut dénoncer avec la plus extrême vigueur, si cela se confirme – je ne puis me départir de mes doutes –, et là le risque encouru est immense, car il met en cause la République, c’est cette situation d’une gravité exceptionnelle où, peut-être afin d’intimider le Conseil d’État (quelle naïveté consternante !), des fonctionnaires d’autorité s’acharnent subitement à faire respecter à tout prix une interdiction pénalement sanctionnée qui est désormais moribonde…

Voilà quelle est mon analyse, et tout juriste sérieux ne pourra qu’abonder en mon sens. Devant l’État de droit aussi malmené, il serait opportun qu’un parlementaire, dans les jours qui viennent, pose à ce sujet, en séance de l’Assemblée nationale ou du Sénat, une question orale au Gouvernement.

Le commentaire du SNEG

Jeudi 25 avril 2013, le SNEG s’est entretenu en direct par téléphone avec l’exploitant d’un sex shop de Mulhouse. Celui-ci a évoqué la venue du service des Douanes dans son établissement et précisé les conditions de la saisie des flacons de poppers dont il était détenteur, mis à disposition de sa clientèle. A partir de cette conversation, nulle raison nous est donnée de douter de la véracité de ces faits. Cet exploitant, qui n’est pas adhérent du SNEG, a estimé de son droit de reprendre la commercialisation des poppers, informé par son fournisseur que ceux-ci étaient de nouveau autorisés à la vente. Il a par ailleurs fait état d’autres saisies sur Epinal et Dijon dans deux autres boutiques.

En sa qualité de juriste, Monsieur Alain Meyet s’émeut de cette série de saisies, s’appuyant sur la forte recommandation du rapporteur public en faveur de l’annulation de l’arrêté d’interdiction. Il s’en émeut au point de ne pas y croire, considérant que si l’annulation de l’arrêté est effective, elle ne sera pas seulement levée, elle sera aussi censée n’avoir jamais existé et que par conséquent, procéder à des saisies à quelques jours de la décision officielle du Conseil d’Etat traduit un mépris total de l’État de droit, aux confins de la voie de fait. Le SNEG ne peut que partager ce point de vue et publie le texte de son communiqué en ce sens et en toute transparence ! Toutefois, les faits sont là et la mission du SNEG étant d’informer et défendre les droits de ses adhérents, il se devait de les informer de cet épisode de saisies. Après presque deux ans de démarches juridiques auprès du Conseil d’Etat, auxquelles Monsieur Alain Meyet a activement apporté sa contribution et nous l’en remercions, procédure non seulement longue mais aussi coûteuse, le SNEG ne peut admettre qu’à quelques semaines de l’annulation définitive, quelque adhérent puisse se retrouver à être saisi de sa marchandise, sujet à amende ou encore dans le pire des cas, à une demande de fermeture administrative.

C’est pourquoi, dès le vendredi 26 avril 2013, le SNEG a publié sur son site l’information relative à ces saisies et mis en garde ses adhérents : en attendant la décision officielle du Conseil d’Etat, la cession et l’offre de poppers demeurent interdites. Il maintient aujourd’hui cette recommandation, dans son rôle de syndicat, au bénéfice de ses adhérents.